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Pour mémoire : Les similitudes nombreuses du basque et de langues indo-européennes anciennes révélées à travers tous nos articles, ne peuvent pas être exclusivement attribuées à l'emprunt des Basques aux langues des peuples qu'ils rencontrèrent. Souvent même, nous pouvons fortement supposer avec quelques raisons que ce pourait bien être l'inverse ... à suivre ...
(34) À tout prendre !
 
Le verbe HARTU "prendre, puiser, saisir" [1] transparait dans beaucoup d'autres termes basques via le radical (H)AR. Nous en avons d'ailleurs déjà côtoyés quelques-uns dans le cours de nos précédents articles :
- [article N° 9] OHAR "percevoir, noter, observer" que nous avions rapproché du grec ὁράω [ϝoraō] "voir, contempler". Mais, dans notre article N° 21 (le deuxième consacré à la racine indo-européenne de l'œil : Okw), nous avions révélé que OHAR était sans doute issu de la composition de O(kw) et HAR … c'est-à-dire "saisir (par l)'œil = capter".
- [article N° 25] Apparaît incidemment dans le « Nota [4) », le terme grec αρπακτήρ [arpaktḗr] "ravisseur". Nous suggérons ci-après sa parenté probable avec plusieurs mots basques construits à partir du radical HAR-.
 
Qui est à l'origine du rapt ?
Le sens courant actuel du verbe HARRAPATU est "attraper, prendre (avec force)", mais la signification que lui donne R. M. de AZKUE [2], "arracher, ravir", est en parfaite cohérence avec le sens actuel de tous les termes basques de la même famille : HARRAPAKATU "piller", HARRAPAKETA "rapine, pillage", HARRAPAKIN "butin, proie", HARRAPARI "rapace, voleur", HARRAPAKA "avec la hâte de tout enlever", "avec rapacité, avidité" …

Et donc, comment ne pas faire entrer ce vocabulaire en résonnance avec les termes grecs suivants : ἁρπάζω [w/harpázo] "ravir, enlever (une femme, une proie), saisir, piller", ἅρπαξ [w/hárpax] "rapine", ἅρπαγή [w/hárpagḗ] "rapine, proie" et le déjà cité αρπακτήρ [arpaktḗr] "ravisseur" ?

Selon Pierre CHANTRAINE, à la base de tous ces termes grecs il y a « ἅρπαξ [w/hárpax] dont l'idée est celle d'"accrocher, attraper" … » ce qui nous ramène à HARRAPATU !

 
HARRAPAKATU
"piller"


HARRAPAKETA
"rapine, pillage"
 
ἅρπαγή [w/hárpagḗ] "rapine, proie"


αρπακτήρ [arpaktḗr] "ravisseur"
LAP(H)UR
"voleur, pirate"
λαφυρέω [laphureō]
"piller"

λάφῡρα [laphūra]
"butin"
LAP(H)UR-LISTER
"larron, chapardeur"
λῃστήρ [lēistēr]
“brigand, pirate”
  Pays basque      
Grèce antique
 
Euskara ne l'aurait pas volé !
Dans le même registre, nous avons le terme basque LAP(H)UR "voleur, pirate" dont, incidemment, nous soulignons la parenté avec LAP(H)URDI "(province basque du) labourd" … qui ne fait que rappeler le passé glorieux des marins pirates labourdins !

LAP(H)UR, comme le terme voisin LAP(H)AR "ronce", est très probablement issu de la combinaison du radical LAP- [3] et de notre (H)AR/(H)UR avec pour signification originelle "accrocher, saisir".
Revenant à sa signification de "voleur, pirate", ne trouvez-vous pas curieux de savoir que les grecs λαφυρέω [laphureō] et λάφῡρα [laphūra] signifient respectivement "piller" et "dépouilles de l'ennemi, butin" ?

Et le clou de l'affaire (que nous prenons plaisir à enfoncer), c'est le terme LAP(H)UR-LISTER, qu'AZKUE traduit par "larron, chapardeur" quand nous avons en grec λῃστήρ [lēistēr] “brigand” notamment pirates !
Par un raisonnement très crédible [4], Eñaut ETCHAMENDY semble avoir résolu l'énigme de l'étymologie du terme grec à laquelle fut confronté, sans résultat, Pierre CHANTRAINE, l'un des plus grands hellénistes du siècle dernier ! Si Euskara pouvait en tirer ne serait-ce qu'un petit gain de notoriété ... il ne l'aurait pas volé !
 
 
[0] Les mots "entre [ ]" donnent la prononciation des termes grecs (en bleu) à l'aide de l'alphabet phonétique international. Tous les autres mots "en bleu italique" sont également écrits à l'aide du même alphabet phonétique.
[1] Significations plus larges de HARTU : "prendre, puiser, recevoir, obtenir, saisir, retirer un bénéfice du travail, du commerce, recouvrer, se faire payer", "prise, saisie, gain".
[2] Dictionnaire basque-espagnol-français de Resurreccion Maria de AZKUE (1905) : s/(H)ARRAPATU, Arracher, ravir. s/LAP(H)UR-LISTER, 1) larron, chapardeur, luron ; 2) inclination.
[3] LAP-, radical verbal signifiant "agripper", intervient dans le mot basque LAPA désignant notamment plusieurs espèces d'herbes de la famille de la bardane, dont les fleurs multiples (pédoncules) se terminant par des crochets s'accrochent aux vêtements et au pelage des animaux.
[4] Eñaut ETCHAMENDY souligne cette autre signification donnée par AZKUE à LAP(H)UR-LISTER "inclination" dont il note la cohérence avec les mots apparentés LISTERKOR "facile à entraîner", LISTERTU "s'attacher à une personne ou à quelque chose", LISTERTASUN "propension à". Faisant remarquer leur rapport avec "convoitise, convoiter, désirer", il suggère que LISTER renvoie à LE(H)I "désir, volonté", suffixé en /-TER/ à valeur d'agent/d'instrument. Ainsi, apporte-t-il une solution crédible à l'énigme face à laquelle s'était trouvé Pierre CHANTRAINE analysant les termes grecs λῃστειρα [lēisteira] "de brigand" (dit notamment de vaisseau), λῃστήριον [lēistērion] "bande de brigands, bateau de brigands, repaire de brigands", ληϊστος [lēïstos] "que l'on peut enlever" ... à propos desquels il concluait : " Pas d'étymologie " !