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(61) Étymologies ...
obscures ou inexpliquées (3)
 
Dans la lignée des deux articles précédents, donnons ici trois nouveaux exemples de termes pour lesquels les plus grands linguistes du siècle dernier reconnaissent leur impuissance à en révéler l’étymologie qui reste donc (à leur yeux) « inconnue » alors que le basque, semble-t-il, a (au moins) un début d’explication !
 
Cuisine linguistique !
Revenons sur le terme basque EZKARATZ/ESKARATZ "cuisine" [1] évoqué dans notre article N° 39 consacré à l’ETXE dont Eñaut ECHAMENDY suggère la possible construction suivante : ESE "feu" + KAR "flamme" + ATZ(E) "à l'arrière" [2]. Ainsi, EZ/SKARATZ signifierait littéralement « feu/flamme à l'arrière ».
Or, dans l’analyse qu’il fait du terme grec ἐσχαρᾱ [eskharā] "foyer bas, brasier" (employé notamment pour des foyers de sacrifice …) Pierre CHANTRAINE dit « Terme technique et dans une certaine mesure religieux des plus anciens. … pas d’étymologie » !

Et puisque « tout est plus facile à dire dans une cuisine » [3], citons pour mémoire le terme plus connu en basque moderne pour désigner la "cuisine" SUKALDE dans lequel figure le mot SU “feu” dont Eñaut ECHAMENDY a établi clairement la correspondance avec plusieurs termes indo-européens tels que le grec εὕω (ϝ/seúō) "griller, flamber", le sanskrit uṣṭȧ et le latin ustus “brûlé”. Quant à ALDE "côté", nous en avons déjà souligné le lien avec une racine i.-e- très fréquente marquant l'alternative et plus généralement quelque chose qui tourne [voir notre article N° 52/Nota 2].
 
Pépin linguistique !
Le même CHANTRAINE fut confronté à la même difficulté pour identifier l’étymologie du terme grec κόκκος (kókkos) “noyau, pépin” notamment de la grenade, d'un fruit (et aujourd’hui encore “graine” dans le grec moderne) à propos duquel il écrit : « [étymologie] inconnue ».

Or le basque a KOKOTA/KUXKUTA “pépin de fruit” [dictionnaire de LHANDE] ! Eñaut ECHAMENDY fait remarquer la proximité des termes basques avec KOXKO “dôme”, “pommette”, “petit pain sphérique” et KASKO “tête, haut du crâne” dont l’origine probable (pour ce dernier) est la racine reconstituée /KAR-/GAR-/ “tête” que nous avons déjà rapproché du grec κάρᾱ (kárā)“tête” (voir article N° 7).
 
KUXKUTA/KOKOTA
“pépin de fruit”

KOXKO / KASKO
"dôme ..." / "tête ..."

 
κόκκος [kókkos]
“noyau, pépin”

« étymologie inconnue »
(Pierre Chantraine)

 
Pays basque
 
Grèce antique
 
Grandeur linguistique !
Et pendant que nous avons les termes précédents en “tête”, signalons le basque GARAINDI “dépasser, surpasser” qu’Eñaut ECHAMENDY fait dériver de /GAR-/ “tête” en composition et GARA “haut, hauteur, crâne” [4] ; le terme pourrait signifier littéralement “qui est en haut, qui tient le haut, qui a le haut”.

Or le latin a le mot grandis “grand, grandi, haut, développé …” à propos duquel le grand Antoine MEILLET [5] écrit : « l'étymologie de ce mot “vulgaire” à vocalisme /a/ est inconnue. Le mot i.-e. signifiant “grand” est représenté par latin magnus. » !
 
Sur fond de pastorale souletine [ANTSO HANDIA (Sancho le grand) produite à Mauléon en 2004],
un romain très surpris du beau et ... grand spectacle !

GARAI + N + DI
(littéralement) "qui est en haut"



GARAINDI
“dépasser, surpasser”
 
 

« étymologie ... inconnue »
(Antoine Meillet)

     

grandis      
“grand, grandi, haut”            
 
Pays basque
 
Rome
 
 
[0] Les mots "entre [ ]" donnent la prononciation des termes grecs (en bleu) à l'aide de l'alphabet phonétique international. Tous les autres mots "en bleu italique" sont également écrits à l'aide du même alphabet phonétique.
 
[1] Chez AZKUE (qui écrit plus volontiers ESKARATZ), "cuisine" est le deuxième sens.
Chez LHANDE "… suivant les destinations diverses, […] aire, remise, cuisine, vestibule …"
[2] Dictionnaire basque-espagnol-français de Resurreccion Maria de AZKUE (1905) :
ESETU "brûler, allumer" ; GAR/KAR "flamme" de feu ; (H)ATZE "derrière", une des acceptions du mot comme dans l'exemple : Bata bestearen atzean "l'un derrière l'autre".
[3] Citation complète de Serge Joncour : "Tout est plus facile à dire dans une cuisine, tout y est nuancé par cette intention du partage, un appétit fait de la sève même des choses" tiré de cet ouvrage collectif Bonnes vacances paru en 2004.
[4] (dictionnaires de LHANDE et AZKUE notamment)
- s/GAR : GARKHO(RA)/GARKOLA "nuque", GARONDO "cou", GARAUN "cervelle"
- s/GARA : "idée d’élévation, de crâne de hauteur" GARAI : "haut, sommet, dessus"
[5] Pour mémoire : MEILLET Paul Jules Antoine [1866-1936] Élève de Ferdinand de Saussure est l'un des premiers sociolinguistes français, "découvreur" du phénomène de transformation au fil du temps de mots du vocabulaire en plus petites unités lexicales ou grammaticales porteuses de sens. Auteur de nombreux ouvrages dont « Introduction à l'étude comparative des langues indo-européennes » 1903, « Linguistique historique et linguistique générale » 1921, « La méthode comparative en linguistique historique » 1928, « Dictionnaire Étymologique de la langue latine, Histoire des mots » co-écrit avec A. ERNOUT.