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(14) Vous avez dit quoi ? ...
en basque comme en indo-européen !
 
Nous avons tenté jusqu'ici de vous interpeler sur la similitude souvent étonnante de partie du vocabulaire d'euskara et de langues indo-européennes parlées très loin de l'actuel Pays basque, ce qui exclut a priori le pur emprunt du basque aux langues environnantes. Nous n'avons pas fini de vous étonner dans cette voie. Mais, cette fois-ci, pour varier le ton, abordons un autre point de convergence touchant la grammaire et plus précisément la modification de mots selon le contexte (cas particulier de la syntaxe qui étudie la façon dont les mots se combinent pour former des phrases) ... mais cela commence par une petite anecdote ...
 
Anecdote souletine
Peu avant le passage à l'an 2000, le journaliste vedette d'un journal souletin, qui recevait un universitaire venant de publier une excellente étude sur le parler souletin des Arbailles [1], enrichissait son vocabulaire d'un terme linguistique savant « Ergativité » (nous y revenons immédiatement). Persuadé qu'il s'agissait d'un particularisme dialectal souletin et enthousiasmé, à juste raison, par sa langue, il alla jusqu'à écrire « [nous les Souletins] damons le pion aux Manex »
[désignation péjorative des basques labourdins et bas-navarrais et d'une façon générale des autres basques … non souletins [2].
 
Mais, qu'est-ce que l'ergativité ?
Pour faire simple, considérons 2 propositions verbales ayant le même sujet Manex (qui est également un prénom masculin bien connu au Pays)[3]
« Manex est bascophone » [Manex euskalduna da] et …
« Manex parle basque » [Manexek euskara mintzatzen du].
Alors qu'en français, le sujet (Manex) ne change pas, qu'il soit agent passif ou actif, en basque, Manex est devenu ManexEK pour traduire l'existence (derrière le verbe "parle") d'un « Complément d'Objet Direct » ("basque").
 
Ce que semblait ignorer notre journaliste souletin, c'est que tous les autres dialectes basques étaient aussi … « ergatifs ». Mais, ce qu'ignorent peut-être encore beaucoup de bascophones, c'est que toutes les langues indo-européennes auraient été à l'origine « ergatives ». C'est ce qu'affirme une autorité linguistique en la matière : Claude TCHEKHOFF, professeur de linguistique générale à l'université de Strasbourg pendant des décennies, elle-même ancienne élève du célèbre linguiste André MARTINET [4]. Sa thèse de doctorat, parue en 1979, distinguée comme étant la meilleure de l'année, y était consacrée. Parmi ses nombreux ouvrages, citons surtout « Aux fondements de la syntaxe [indo-européenne] : l'ergatif ».
 
Nous sommes tous MANEX !
   
 
Nik, Manexek, ergatiboa darabilt
"Moi, Manex, je l'utilise l'ergativité"
 
 
A l'issue de cet article, deux questions :
- Pensez-vous toujours que le basque est le petit mouton noir du « continent » indo-européen ? ...
- et, si vous résidez au Pays basque ou y venez régulièrement, écouterez-vous désormais de la même manière le chant très festif « Guk Euskaraz, Zuk zergatik ez ? » "Nous en basque, Vous pourquoi pas ?" où les « Gu/Zu » "Nous/Vous" passifs sont transformés en « GuK/ZuK » "Nous/Vous" actifs ?
 
 
[1] La Soule est la plus petite des provinces et la plus à l'est du territoire basque (capitale Mauléon). L'universitaire auquel il est fait référence est Jean-Baptiste COYOS. Le massif des Arbailles, qui sépare la Soule de la Basse-Navarre, couvre environ 70 km².
[2] Mouton rustique à tête et pattes noirs propre au Pays basque, mais que l'on trouve curieusement partout au Pays basque, y c. en Soule !
[3] Manech (ancienne orthographe de Manex) est le nom du héros du célèbre roman de Francis JAMMES « Le mariage basque » (1923).
[4] MARTINET André [1908-1999] est considéré comme l'un des grands linguistes généraliste (avec un ouvrage de référence : « Éléments de linguistique générale » 1960). Il est le tenant de l'analyse diachronique de la phonologie, c.-à-d. de l'évolution à travers le temps des sons dans la structure des mots ; en cette matière, il a publié une vingtaine d'ouvrages dont « Économie des changements phonétiques » 1955 et « Évolution des langues et reconstruction » 1975.